Marc Larreguy de civrieux
L’histoire est tragique et véridique. Un père, Louis de Larréguy élève son fils Marc avec amour afin d’en faire un homme épris des arts et de la libre pensée…Le temps de l’enfance passe et le père observe avec satisfaction que son fils adolescent est devenu tel qu’il le souhaitait, un jeune homme humaniste et poète à ses heures… Marc, au fil de ses lectures, est devenu aussi un admirateur inconditionnel du grand poète Lamartine (1790-1869)…
Mais revenons au jeune Marc de Larréguy qui s’élève au contact des œuvres de Lamartine. Son père s’enorgueillit de ce fils si prometteur. Mais les convulsions guerrières qui agitent l’Europe ne laisseront pas le temps à Marc de se réaliser pleinement. L’affreuse guerre éclate ! Le père s’en va trouver son fils et lui commande de s’engager…ce dernier se montre réticent ; on le comprend sachant la profonde communion d’idées qu’il éprouve avec Lamartine. Il cite à son père cette parole de son maître à penser : « L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie. La Fraternité n’en a pas »
Mais Marc n’était pas un lâche, il part au front le 5 juillet 1915 résigné par la piété filiale et entraîné par la folie collective…Il accomplit alors son devoir pendant 17 mois avant de succomber à Froideterre près de Verdun le 18 novembre 1916 !
Pendant ses 17 mois de guerre, Marc écrivit plus de cinq cent lettres et des dizaines de poèmes illustrant la réalité de la Grande Guerre en Argonne !
Le jeune poète excellait à décrire la belle forêt d’Argonne indifférente aux souffrances des hommes qui y guerroyaient. Lisez ce poème et vous éprouverez en un instant les sentiments désespérés du « poilu » occupant jour après jour sa tranchée noyée dans le froid et l’humidité de la sombre forêt d’Argonne.
Inferno
O forêt de l’Argonne ! Hélas je t’ai connue
A l’heure où la bataille a pris tes horizons ;
Un de tes noirs ravins me tient lieu de prison
Et j’y vis face avec ta beauté nue !
Mais, soit que le soleil chauffe tes frondaisons
Ou que le givre pende à tes cimes chenues
J’entends le vent râler parmi tes avenues
Comme la voix des morts couchés sous ton gazon
Tes arbres, suppliciés par la guerre sans trêve,
Crispent leurs moignons vifs aux blessures de sève
En des poses d’horreur protestant au ciel las !
Et, métamorphosant leurs formes gigantesques,
Dans l’ombre, humanisés, ils incarnent, dantesques,
Tes cadavres roidis dans la nuit d’au-delà
Un jour le courrier ne parvint plus au père Louis, puis vint l’attente funeste et finalement l’annonce à la famille de la mort de l’être aimé ! La mort du fils entraîna le père dans le malheur… Un père à jamais culpabilisé, coupé, comme il l’écrira, à jamais du chef-d’œuvre issu de lui-même…Un chagrin immense mais semblable à celui éprouvé par des milliers d’autres pères, le même chagrin mêlé de remords Le père Louis publie l’œuvre de son fils Marc mais cela ne suffit pas à atténuer son chagrin ! Il va user de toutes ses influences pour offrir à son fils une sépulture exceptionnelle ! Son rêve est de faire reposer son fils auprès du poète que ce dernier admirait tant, le célèbre Lamartine ! On imagine les tractations avec les héritiers de Lamartine et finalement l’immense satisfaction du père quand l’accord fut donné !
Marc fut donc enterré à Saint-Point à l’ombre de la chapelle romane jouxtant le château du poète et à 2 mètres de son mausolée. Près de cinquante ans après son décès, on confia donc à Lamartine un nouvel enfant mort, un tout jeune homme de 21 ans qui l’avait tant aimé et admiré ! Depuis presque un siècle, les deux poètes, le jeune et le vieux, l’admiré et le méconnu, reposent l’un à côté de l’autre en se veillant mutuellement pour l’éternité.