Que dirais-tu Ferrat !
Que dirais-tu Ferrat de l'état de la France à ce jour, deux ans après ton départ pour le grand voyage...Dis, que dirais-tu ? On peut s'imaginer sans trop d'effort que les ondes te serraient interdites une fois de plus car comme pour les élections régionales de 2010, tu aurais appelé à voter pour le " Front de Gauche " sans aucun doute. Tu nous aurais même peut-être chanté un hymne à l'espoir en pensant que l'on en avait bien besoin en ces temps difficiles, une chanson écrite avec ton complice Guy Thomas pourquoi pas ? Ajoutant la crise une fois de plus à ton répertoire, toi qui n'avait pas hésité à faire entrer dans le tiens des ouvriers, des paysans, des déportés, des mutinés, des guérilleros, des communards, des étudiants, des profs, des peintres, des maçons, des nomades, des demoiselles de magasin et autres minorités émouvantes — Mais c'était au temps où l'on ne parlait pas encore de « foules sentimentales " et où les chansons parlaient de bourgeois, de croquants, d'anars et de blousons noirs.
Ferrat c'était celui qui secouait les esprits « M’en voudrez-vous beaucoup, si je vous dis un monde où celui qui a faim va être fusillé! » dans « Potemkine ». Il apostrophait les adeptes du grand soir « Ainsi donc, il n’y aurait plus rien à faire, qu'à mettre la clef sous la porte de ces châteaux sombres et déserts, où gisent nos illusions mortes?». Avec «Dans la jungle ou dans le zoo», mais aussi celui qui questionnait l'intimité amoureuse « que serais-je sans toi que ce balbutiement? » Un chanteur de fer dans une voix de velours.
Ferrat, c’était du point d’exclamation dans la moustache et de la tendresse dans les prunelles: il continuait à s’inquiéter des injustices du monde. il nous proposait récemment «Les Yeux d’Elsa», enregistrement venant parachever son extraordinaire intégrale discographique, Aragon-Ferrat. Le poète — celui qui « a toujours raison» et le chanteur qui a su si souvent dire : «non!» forment l’un des plus magnifiques tandems de la création française. Un fait est certain, le pouvoir avait peur de Ferrat qui nous livre quelques réflexions sur le danger qu'il représentait à l'époque sur les ondes des radios et les antennes de télévision :
" la plus honnête des censures est encore celle qui s’exerce en direct. En 1969, je chante « Ma France», à la télévision, dans l’émission « L’Invité du dimanche ». Pendant que je débats de l’engagement politique avec les autres invités — Brel, Brassens et Jean-Pierre Chabrol —, le directeur de l’ORTF envoie une courte note sur le plateau : « Que Ferrat chante, mais surtout qu'il ne parle pas.» Ça a déclenché des rires sur l’instant. Ensuite, j’ai disparu du petit écran pendant deux ans et demi. Je pourrais vous citer d’autres exemples…"
C'était tout ceci Ferrat, et moi, comme beaucoup, avons été élévé et avons grandi au biberon Ferrat. C'est peut-être aussi cela l'éternité d'un poète !