Un pauvre honteux
Xavier Forneret est un poète, né à Beaune (Côte d'or). Cet excentrique passa sa vie dans une tour gothique à jouer du violon en attendant sa mort. Il publia ses livres à compte d'auteur : Rien 1836, Vapeur, ni vers, ni prose 1840, Ombres de poésie 1860, Broussailles de la pensée 1870 qui, tous passèrent inaperçus. Fortuné, il avait pu faire représenter à Paris, en 1834, un drame en cinq actes : L'homme noir, blanc de visage qui n'eut aucun succès.
Un pauvre honteux
Il l'a tirée
De sa poche percée
L'a mise sous ses yeux ;
Et l'a bien regardée
En disant : " Malheureux ! "
Il l'a soufflée
De sa bouche humectée ;
Il avait presque peur
D'une horrible pensée
Qui vint le prendre au coeur.
Il l'a mouillée
D'une larme gelée
Qui fondit par hasard ;
Sa chambre était trouée
Encor plus qu'un bazar.
Il l'a frottée,
Ne l'a pas réchauffée,
À peine il la sentait ;
Car, par le froid pincée
Elle se retirait.
Il l'a pesée
Comme on pèse une idée,
En l'appuyant sur l'air.
Puis il l'a mesurée
Avec du fil de fer.
- Il l'a touchée
De sa lèvre ridée. -
D'un frénétique effroi
Elle s'est écriée :
Adieu, embrasse-moi !
Il l'a baissée
Et après l'a croisée
Sur l'horloge du corps,
Qui rendait, mal montée,
Des mats et lourds accords.
Il l'a palpée
D'une main décidée
À la faire mourir.
- Oui c'est une bouchée
Dont on peut se nourrir.
Il l'a pliée,
Il l'a cassée ;
Il l'a placée,
Il l'a coupée,
Il l'a lavée,
Il l'a portée,
Il l'a grillée,
Il l'a mangée.
- Quand il n'était pas grand, on lui avait dit :
- Si tu as faim, mange une de tes mains.
(Recueil : Vapeurs)