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Le Blog de Michel Benoit
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Le Blog de Michel Benoit
19 février 2011

Le dernier verre

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Le dernier verre.

La camarde est venue, elle a choisi ma belle,
Elle l'a bien enveloppée dans un drap en dentelle,
Elles sont parties, sans bruit, craignant qu'on prenne peur,
Les rues vers Saint-Marcel sont bien calmes à cinq heures.

Jojo s'est fait buter au coin de la rue Blondel :
Quand on parle de trop, il faut bien que l'on paye.
On a trouvé son corps au fond d'une poubelle,
Découpé en morceaux de la tête aux orteils.

Le barbier est passé, j'entends encore son chant,
Son tablier de cuir au soleil luisant,
La rivière reflétait le brillant de la lame,
Je l'ai perdu de vue tout près de Notre-Dame.

Les filles d'Aboukir sont lasses et fatiguées,
Elles ont toute la nuit arpenté les pavés,
Rue du Cygne ou ailleurs, il faut récupérer ;
Il paraît que cette nuit la fontaine a gelé.

Sur le quai de l'Horloge se distinguent des lueurs,
Des égouts de Paris remonte la chaleur,
La Seine est prisonnière de son sombre passé,
De ses rives bâties, de ses ponts encastrés.

Ses secrets engloutis gisent au fond, bien gardés,
Des lettres d'un autre temps, des chiens, des noyés,
Les vieux ont beau pêcher au fil des années,
Jamais ils ne pourront un jour les remonter.

Boulevard Saint-Germain, j'ai rencontré Villon,
Il est toujours vêtu de ces pauvres haillons
Qui donnent aux poètes l'âme de la saison,
Paris sourit toujours quand on chante ses ponts.

Sur une grille chauffée, de pauvres gens s'éveillent,
Pour loisir ils n'ont plus que bouteilles, que sommeil ;
A la porte de Montreuil il est courant de voir,
Ces êtres abandonnés qu'on appelle clochard.

 

 

Ils errent sans rien dire, ne veul’nt pas déranger,
La vie qu'ils ont choisie n'est pas facilité,
Marginaux de tout âge au visage buriné,
Attendant que la mort vienne les délivrer.

Rue de Saint-Louis en l'Isle un épicier sommeille,
Près de lui des cageots de tomates et d'oseille,
Gisent là, pêle-mêle, attendant le client.
Bien qu'on soit à Paris, le terroir est présent.

Sous une porte cochère, un homme, traqué, épie,
Son regard apeuré cherche quelque képi,
Tout baigné de sa sueur il ne fait aucun bruit :
Paris est un royaume pour celui qui fuit.

Au cimetière de Bicêtre, les veuves vont prier
L'âme des assassins au corps décapité,
L'aumônier est venu pour les réconforter,
Le petit verre de rhum était fort en degré.

Sur un banc place des Vosges, à toute heure,
Un vieil homme attentif, venu d'on ne sait où,
Distribue des croûtons et des grains de bonheur,
Aux pigeons amassés venus tendre le cou.

Ils sont nombreux, ces vieux, qui passent la journée
Près de leurs souvenirs dans un square grillagé,
Sur un banc de fortune, attendant sans broncher,
Les ailes du destin de l'immortalité.

Des enfants au cerceau viennent parfois les distraire ;
Alors, pour quelque temps, ils voyagent avec eux,
L'univers enfantin n'est pas pour leur déplaire,
Ils revivent sans bruit, de doux moments, heureux.

Place du Trône à cinq heures, il est parfois fréquent,
D'acheter des marrons aux marchands ambulants,
De la pomme d'amour à la barbe à papa,
Le choix est difficile et l'argent manquera.

 

 

Par delà les manèges nous parviennent des cris :
La foule, telle une marée, piétine les confettis,
Des ballons sont lancés, portés vers quelques lieux,
C'est la fête, il fait beau, les enfants sont heureux.

Quand la nuit s'ensommeille au tout petit matin,
Près des Halles où ailleurs, des lustres nous parviennent,
Ce sont les saltimbanques, fêtards ou musiciens,
Qui reviennent aux lampions, par des rues incertaines.

Ce sont celles des Dérus, des Guérin, des Damien,
Par les nuits de pleine lune où les ombres s'emmêlent,
On peut apercevoir l'estrade des forains,
Qui servait de bûchers aux bourreaux en dentelle.

Seuls les initiés peuvent ainsi percevoir
Ces images du passé, certains les disent fous,
Peut-être le sont-ils, mais ils ont le pouvoir ;
On n’habite point Paris, Paris habite en nous.

La camarde est venue, elle a choisi ma belle,
Elle l'a bien enveloppée dans un drap en dentelle,
Elles sont parties, sans bruit, ne m'ont pas réveillé,
Peut-être que demain, reviendra me chercher.

Je me suis attardé et vin m'a grisé,
Mes amis sont partis, je suis seul à parler,
A raconter ma vie au fil de ces cuvées.
Encore un dernier verre, et me faudra rentrer.

Michel Benoit

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Commentaires
J
Souvenir des soirées spectacles, de l'ambiance née de ton texte et de ta voix, du Paris nostalgie...
Répondre
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