L'HEURE DES IVROGNES
L’heure des ivrognes
C’est à l’heure des ivrognes qu’on s’retrouvait toujours,
Dans ce petit bistrot qu’on surnommait l’Escale
On s’était rassemblés, comme ça, un beau jour,
Pour y boire le dernier, pour oublier notre mal.
Nous, on laissait la terrasse aux touristes,
Assis sous la tonnelle, venant mater la Loire,
Nostalgie d’un passé qui nous paraissait triste,
On connaissait tout ça, on préférait l’comptoir.
Chacun avait sa place et malheur à celui
Qui nous prenait la nôtre, tiens, c’était comme si
On s’incrustait chez nous, par un temps de pluie,
Qu’on mettait nos chaussons, qu’on nous piquait nos lits.
J’ai dit nos lits, pas nos femmes, car là, bien sûr,
On ne risquait plus rien, elles nous avaient quittées
Il y avait bien longtemps, pour la Côte d’Azur
Pour l’Anjou ou la Meuse, avec un marinier.
Le port, face à l’Escale, vivait ses grandes heures,
Les bateaux, les péniches, nous venaient de partout,
Le soir, les filles du port faisaient le joli cœur,
Et ça sentait la frite et la soupe au pistou.
C’est là que tous les soirs, à l’heure de l’apéro,
Regardant l’horizon, de l’Aron à la Loire,
J’ai attendu vingt ans, croyant revoir Mado,
Avalant, un à un, les verres du désespoir.
Et au rythme du fleuve le temps s’est écoulé,
Lentement, sans vagues, sans remous, sans histoire,
J’attends toujours Mado et son beau marinier.
Mais c’est l’heure des ivrognes, patron, donnes-nous à boire…
Michel Benoit