Souvenirs de guerre d'Elie POULARD
Mon ami Elie POULARD m'a fait parvenir dans une lettre il y a quelques temps, quelques souvenirs de cette période de guerre et d'occupation que tous les français de son âge ont vécu, je vous fais donc partager ce témoignage assez pittoresque, qui aurait pu très mal se terminer. En voici le texte:
Voici l'historique de mon activité de vendeur de librairie.
J'ai quitté Saint honoré à la fin de
novembre 1940 pour rentrer à la maison. Je n'ai pas retrouvé de travail dans la
pharmacie. Mon ancienne patronne d'Aÿ, Jeanne Pierson, était encore jeune, elle
n'avait pas besoin d'un préparateur. Avant l'évacuation, je l'avais quittée le
1° mai. A cette époque je ne lui coûtais pas cher mais par la suite, elle
aurait été obligée de me donner un salaire normal. J'ai cherché, sans
succès, à Reims avec Monsieur Clerc, mon premier patron. En attendant mieux,
j'ai été employé par les ponts et chaussées à déblayer la neige car en décembre
il y en avait beaucoup.
Fernand Jardret, qui était
dépositaire des MESSAGERIES HACHETTE ( l'équivalent des Maisons de la presse
actuelles ) avait 3 vendeurs qui faisaient des tournées dans la région. Or au
début de janvier 1941, un de ses vendeurs lui fit défaut. Comme J'étais un bon
client de librairie et que j'aimais le commerce, il me proposa la place
de cette tournée. C'était la plus importante par le kilométrage et par
l'importance des localités. Comme arguments, il me promettais de me céder sa
librairie, car il avait l’intention de quitter la région pour raison de santé.
Il me disait que pour être accepté comme dépositaire Hachette, il fallait déjà
être dans la maison. J'ai donc accepté. et c'est le premier Dimanche de janvier
41 que j'ai pris la route avec l'ancien vendeur qui venait me montrer la
tournée. J'avais un vélo de femme, pour rouler dans la neige ce n'était pas le
pied!
La tournée
concernait les communes de Tauxières, Louvois, Le Craon de Ludes, Mailly,
Verzenay, Verzy et au début Villers-Marmery et Trépail. Nous sommes revenus par
Bouzy, Ambonnay, Tours et Bisseuil, .Ce premier jour, nous avons fait 60
kilomètres en vélo et le lendemain j'ai fait ce parcours seul, toujours dans la
neige. Je me souviens que le soir j'ai eu du mal à remonter la dernière côte, à
la sortie d'Avenay. J’ai mangé un petit bout de pain qui me restait de midi
pour reprendre quelques forces Le dégel est intervenu dans les jours suivants
et, ce soir là ,je me suis trouvé pris dans une belle tempête de neige. Le
lendemain il y avait du verglas, j’ai voulu partir quand même, mais à la sortie
de Mareuil je me suis retrouvé le derrière par terre. Je n’ai donc pas insisté.
Je me suis payé un
vélo routier avec frein sur moyeu et le surlendemain j’ai repris la route.
Au début, comme
quotidiens, je n’avais que les journaux de Paris, ce qui sauvait ma recette
c’était toute les publications périodiques et la librairie. J,en ai vendu des
bouquins à 20 sous !
J’avais aussi une
clientèle pour des livres plus sérieux et des illustrés pour la jeunesse. En
particulier ( ce qui était interdit par les messageries ) « les belles
histoires de vaillance » qui remplaçaient « Cœur vaillant « qui était interdit par les Allemands. Cette
revue m’était fournie par l’Abbé Favréaux. Je vendais mes journaux à la criée
et j’avais un slogan préféré : « Paris soir, derniers mensonges de
Berlin ». je pense que j’ai eu de la
chance que cela ne me crée pas d’ennuis ? A Verzenaay j’avais un ami qui
diffusait des photos du Général de Gaulle. Il m’en fournissait pour que je les
distribue et, un soir, il m’est arrivé de passer, dans la forêt de Reims, au
travers d’une troupe de soldats allemands en manœuvres, avec mes poches
bourrées de ces photos.
Je m’étais fait
faire un panier spécial, plus grand que ceux utilisés habituellement pour ce
genre de commerce. J’avais, aussi une espèce de boite sur le porte-bagages arrière pour mettre ma gamelle.
Cette gamelle
n’était pas grasse. Pas souvent de viande ! Surtout des rutabagas et
quelques pommes de terre. En général,Je prenais mes repas dans un bistrot, à
Mailly quand j’avais terminé ma distribution dans cette commune. Je partais donc le matin avec 50 kilos de
papier sur mon vélo.
Au bout de quelques
semaines, les journaux ont été supprimés le Dimanche, cela me faisait un jour
de congé. Comme je n’avais pas une clientèle suffisante dans les communes de
Villers-Marmery, Trépail , j’ réduit mon itinéraire, je terminais ma tourné à
Verzy. Pour revenir, je montais la côte des faux de Verzy à pied, le vélo à la
main. Cela ne me faisait plus que 45 kilomètres.
Dans la dernière
année, le journaux de Reims manquèrent de vendeurs, j’ai donc hérité de la
distribution de l’ECLAIREUR DE L’EST et LE NORD EST, avec une condition : distribuer les
abonnements. Cela me faisait 650 boites aux lettres chaque jour. En plus de la
distance en vélo, il faut ajouter celle que je parcourais à pied, en courant,
pour distribuer les quotidiens. Comme mes clients payaient à la semaine, je
percevais ma recette le vendredi et le samedi. Il m’arrivait d’entrer chez des
clients à l’heure du repas et, chez certains, propriétaires vignerons ou
cultivateurs, je sentais une bonne odeur de cuisine, moi qui n’avait que
ma maigre gamelle à manger.
A part le verglas,
j’ai roulé par tous les temps. Il fallait vraiment être cinglé !. J’en ai
subi des averses de pluie ou de neige. J’ai eu froid, certains matin mes larmes
se transformaient en perles de glace qui me collaient les 2 paupières. L’été, je crevais de chaleur. En 41 ou 42 il
a fait jusqu’à 50 degrés au soleil. Il m’est arrivé aussi de rouler sous
l’orage.
J’avais une
clientèle importante et je gagnais bien ma vie. Ma position était celle de sous
/ dépositaire.
Une anecdote
amusante et un peu émouvante : Un soir d’hiver, les routes étaient
enneigées, je redescendais de Verzy par Louvois. Arrivé à Tauxières, je passais
devant la ferme d’un de mes clients, il faisait nuit, leur chien, un magnifique
jeune Berger allemand, s’est mis à me suivre. Comme le chasse-neige était passé
les congères sur les côtés de la route faisaient des zig zag . que je ne
distinguaient pas dans la blancheur du paysage. Cela me faisait chuter et à
chaque fois que je tombais le chien s’asseyait devant moi et m’observait
pendant que je ramassais mon vélo et son chargement. Il repartait avec moi,
comme pour me protéger, cela jusqu’à Avenay. Là, sans doute a-t-il pensé que
j’étais tiré d’affaires, il est reparti.
Au début de 1942,
les Messageries nous avaient donné à distribuer des plaquettes
antisémites. La couverture de ce
document représentait l’étoile jaune que les juifs devaient coudre sur leurs
vêtements .Craignant un contrôle de la part d’un inspecteur des Messageries, ce
qui arrivait quelquefois, j’en avais mis dans mon panier mais je ne les ai pas
distribuées, les autres vendeurs ont refusé également de les distribuer. Un Dimanche, comme la plupart des Dimanches à
cette époque, avec quelques copains, nous allions au cinéma à Epernay, je me
suis épinglé sur le revers de ma veste la couverture de cette plaquette,
c’est-à-dire l’étoile de David. J’ai donc fait l’aller et retour, à pied,
Mareuil – Epernay avec cet insigne. Je n’ai pas renouvelé ce geste. Nous avons
appris par la suite que des jeunes qui s’étaient épinglés l’étoile jaune
avaient été interpellés par la police et s’étaient vus porter sur leur carte d’identité la mention «
assimilé aux juifs ».
Elie Poulard