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Le Blog de Michel Benoit
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Le Blog de Michel Benoit
28 mai 2008

Souvenirs de guerre d'Elie POULARD

DSCN0499Mon ami Elie POULARD m'a fait parvenir dans une lettre il y a quelques temps, quelques souvenirs de cette période de guerre et d'occupation que tous les français de son âge ont vécu, je vous fais donc partager ce témoignage assez pittoresque, qui aurait pu très mal se terminer. En voici le texte:

Voici l'historique de mon activité de vendeur de librairie.

J'ai quitté Saint honoré à la fin de novembre 1940 pour rentrer à la maison. Je n'ai pas retrouvé de travail dans la pharmacie. Mon ancienne patronne d'Aÿ, Jeanne Pierson, était encore jeune, elle n'avait pas besoin d'un préparateur. Avant l'évacuation, je l'avais quittée le 1° mai. A cette époque je ne lui coûtais pas cher mais par la suite, elle aurait été obligée de me donner un salaire normal. J'ai cherché, sans succès, à Reims avec Monsieur Clerc, mon premier patron. En attendant mieux, j'ai été employé par les ponts et chaussées à déblayer la neige car en décembre il y en avait beaucoup. 

Fernand Jardret, qui était dépositaire des MESSAGERIES HACHETTE ( l'équivalent des Maisons de la presse actuelles ) avait 3 vendeurs qui faisaient des tournées dans la région. Or au début de janvier 1941, un de ses vendeurs lui fit défaut. Comme J'étais un bon client de librairie et que j'aimais le commerce, il me proposa  la place de cette tournée. C'était la plus importante par le kilométrage et par l'importance des localités. Comme arguments, il me promettais de me céder sa librairie, car il avait l’intention de quitter la région pour raison de santé. Il me disait que pour être accepté comme dépositaire Hachette, il fallait déjà être dans la maison. J'ai donc accepté. et c'est le premier Dimanche de janvier 41 que j'ai pris la route avec l'ancien vendeur qui venait me montrer la tournée. J'avais un vélo de femme, pour rouler dans la neige ce n'était pas le pied! 

La tournée concernait les communes de  Tauxières, Louvois, Le Craon de Ludes, Mailly, Verzenay, Verzy et au début Villers-Marmery et Trépail. Nous sommes revenus par Bouzy, Ambonnay, Tours et Bisseuil, .Ce premier jour, nous avons fait 60 kilomètres en vélo et le lendemain j'ai fait ce parcours seul, toujours dans la neige. Je me souviens que le soir j'ai eu du mal à remonter la dernière côte, à la sortie d'Avenay. J’ai mangé un petit bout de pain qui me restait de midi pour reprendre quelques forces Le dégel est intervenu dans les jours suivants et, ce soir là ,je me suis trouvé pris dans une belle tempête de neige. Le lendemain il y avait du verglas, j’ai voulu partir quand même, mais à la sortie de Mareuil je me suis retrouvé le derrière par terre. Je n’ai donc pas insisté.

Je me suis payé un vélo routier avec frein sur moyeu et le surlendemain j’ai repris la route.

Au début, comme quotidiens, je n’avais que les journaux de Paris, ce qui sauvait ma recette c’était toute les publications périodiques et la librairie. J,en ai vendu des bouquins à 20 sous !

J’avais aussi une clientèle pour des livres plus sérieux et des illustrés pour la jeunesse. En particulier ( ce qui était interdit par les messageries ) « les belles histoires de vaillance » qui remplaçaient « Cœur vaillant «  qui était interdit par les Allemands. Cette revue m’était fournie par l’Abbé Favréaux. Je vendais mes journaux à la criée et j’avais un slogan préféré : «  Paris soir, derniers mensonges de Berlin ». je pense que j’ai eu de la chance que cela ne me crée pas d’ennuis ? A Verzenaay j’avais un ami qui diffusait des photos du Général de Gaulle. Il m’en fournissait pour que je les distribue et, un soir, il m’est arrivé de passer, dans la forêt de Reims, au travers d’une troupe de soldats allemands en manœuvres, avec mes poches bourrées de ces photos.

Je m’étais fait faire un panier spécial, plus grand que ceux utilisés habituellement pour ce genre de commerce. J’avais, aussi une espèce de boite sur le porte-bagages arrière pour mettre ma gamelle.

Cette gamelle n’était pas grasse. Pas souvent de viande ! Surtout des rutabagas et quelques pommes de terre. En général,Je prenais mes repas dans un bistrot, à Mailly quand j’avais terminé ma distribution dans cette commune. Je partais donc le matin avec 50 kilos de papier sur mon vélo. 

Au bout de quelques semaines, les journaux ont été supprimés le Dimanche, cela me faisait un jour de congé. Comme je n’avais pas une clientèle suffisante dans les communes de Villers-Marmery, Trépail , j’ réduit mon itinéraire, je terminais ma tourné à Verzy. Pour revenir, je montais la côte des faux de Verzy à pied, le vélo à la main. Cela ne me faisait plus que 45 kilomètres. 

Dans la dernière année, le journaux de Reims manquèrent de vendeurs, j’ai donc hérité de la distribution de l’ECLAIREUR DE L’EST et LE NORD EST, avec une condition : distribuer les abonnements. Cela me faisait 650 boites aux lettres chaque jour. En plus de la distance en vélo, il faut ajouter celle que je parcourais à pied, en courant, pour distribuer les quotidiens. Comme mes clients payaient à la semaine, je percevais ma recette le vendredi et le samedi. Il m’arrivait d’entrer chez des clients à l’heure du repas et, chez certains, propriétaires vignerons ou cultivateurs, je sentais une bonne odeur de cuisine, moi qui n’avait que ma maigre gamelle à manger. 

A part le verglas, j’ai roulé par tous les temps. Il fallait vraiment être cinglé !. J’en ai subi des averses de pluie ou de neige. J’ai eu froid, certains matin mes larmes se transformaient en perles de glace qui me collaient les 2 paupières. L’été, je crevais de chaleur. En 41 ou 42 il a fait jusqu’à 50 degrés au soleil. Il m’est arrivé aussi de rouler sous l’orage. 

J’avais une clientèle importante et je gagnais bien ma vie. Ma position était celle de sous / dépositaire.

Une anecdote amusante et un peu émouvante : Un soir d’hiver, les routes étaient enneigées, je redescendais de Verzy par Louvois. Arrivé à Tauxières, je passais devant la ferme d’un de mes clients, il faisait nuit, leur chien, un magnifique jeune Berger allemand, s’est mis à me suivre. Comme le chasse-neige était passé les congères sur les côtés de la route faisaient des zig zag . que je ne distinguaient pas dans la blancheur du paysage. Cela me faisait chuter et à chaque fois que je tombais le chien s’asseyait devant moi et m’observait pendant que je ramassais mon vélo et son chargement. Il repartait avec moi, comme pour me protéger, cela jusqu’à Avenay. Là, sans doute a-t-il pensé que j’étais tiré d’affaires, il est reparti. 

Au début de 1942, les Messageries nous avaient donné à distribuer des plaquettes antisémites. La couverture de ce document représentait l’étoile jaune que les juifs devaient coudre sur leurs vêtements .Craignant un contrôle de la part d’un inspecteur des Messageries, ce qui arrivait quelquefois, j’en avais mis dans mon panier mais je ne les ai pas distribuées, les autres vendeurs ont refusé également de les distribuer. Un Dimanche, comme la plupart des Dimanches à cette époque, avec quelques copains, nous allions au cinéma à Epernay, je me suis épinglé sur le revers de ma veste la couverture de cette plaquette, c’est-à-dire l’étoile de David. J’ai donc fait l’aller et retour, à pied, Mareuil – Epernay avec cet insigne. Je n’ai pas renouvelé ce geste. Nous avons appris par la suite que des jeunes qui s’étaient épinglés l’étoile jaune avaient été interpellés par la police et s’étaient vus porter sur leur carte d’identité la mention « assimilé aux juifs ». 

Elie Poulard

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