La Grande Peur !
Un dossier sur plusieurs jours qui a l'avantage de lier l'histoire de notre pays et les évènements que nous vivons aujourd'hui. La Grande peur ! La peur des autres, la peur de l'autre....
La Grande Peur de 1789, de l'historien Georges Lefebvre
La Grande Peur bouleverse les campagnes françaises entre le 20 juillet et le 6 août 1789. Elle naît de la crainte du « brigand » qui s’explique elle-même par les circonstances économiques, sociales et politiques dans lesquelles se trouve la France en 1789.
Dans l’Ancien régime, la mendicité était une des plaies des campagnes ; à partir de 1788, le chômage et la cherté des vivres l’aggravèrent. Les troubles innombrables de la disette accrurent le désordre. La crise politique y fut pour beaucoup car, en surexcitant les esprits, elle rendit les Français turbulents. Dans le mendiant, le vagabond, l’émeutier, on dénonça partout le « brigand ». L’époque de la moisson, en tout temps, donnait du souci : elle devint une échéance redoutable ; les alarmes locales se multiplièrent.
Le complot aristocratique
Au moment où la récolte commençait, le conflit qui mettait aux prises le Tiers État et l’aristocratie soutenue par le pouvoir royal et qui, déjà, en plusieurs provinces, avait donné aux révoltes de la faim un caractère social, tourna tout à coup en guerre civile. L’insurrection parisienne [prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 – NDLR] et les mesures de sûreté qui devaient, croyait-on, chasser les gens sans aveu de la capitale et des grandes villes généralisèrent la crainte des brigands, tandis qu’on attendait anxieusement le coup que les aristocrates vaincus allaient porter au Tiers État pour se venger de lui avec le concours de l’étranger. […] Comment admettre, en effet, que l’aristocratie française et européenne ainsi que les monarchies despotiques verraient d’un œil tranquille le succès de la Révolution ? […]. Les rois auraient intérêt à aider les princes et les nobles français émigrés et à leur fournir le moyen de remettre les Français sous le joug. Ainsi, dès le mois de juillet 1789, la collusion de l’aristocratie et de l’étranger, qui a pesé d’un si grand poids sur l’histoire de la Révolution française, a été considérée comme certaine. Avec le « complot aristocratique », naquit l’idée maîtresse qui généralisa la peur.
Que les aristocrates eussent pris à leur solde les brigands annoncés, on n’en douta pas et, ainsi, la crise économique et sociale, conjuguant leurs effets, répandirent dans tous les esprits la même terreur et permirent à certaines alarmes locales de se propager à travers le royaume. […] Dans la seconde quinzaine de juillet 1789, entre les innombrables causes d’insécurité qui alarmaient le royaume et le « complot aristocratique », la synthèse se réalise brusquement et c’est la cause principale de la Grande Peur [prenons pour exemple de cette contamination des craintes populaires par le « complot aristocratique », la peur des humbles de souffrir de la faim : le peuple finit par être persuadé que la disette en céréales et les prix devenus excessifs de celles-ci s’expliquaient par la volonté des aristocrates de réduire le Tiers État par la famine – NDLR].
Nous voici donc au seuil de la Grande Peur : le bruit se répand que les errants si redoutés sont enrôlés au service de l’aristocratie. […] La peur des brigands, née à la fin de l’hiver 1789, atteignit le paroxysme dans la seconde quinzaine de juillet et s’étendit, plus ou moins, à toute la France. […] Jusqu’ici, l’arrivée des brigands était possible et redoutée : maintenant, elle devient une certitude ; ils sont présents, on les voit ou on les entend ; généralement, il s’ensuit une panique […]. Le caractère propre à la Grande Peur, c’est que ces alarmes se propagent très loin et avec une grande promptitude au lieu de rester locales. Chemin faisant, elles engendrent à leur tour de nouvelles preuves de l’existence des brigands et aussi des troubles, qui l’entretiennent et lui servent de relais. On a cru aisément que les brigands arrivaient parce qu’on les attendait. Les courants de peur n’ont pas été très nombreux [cinq en tout – NDLR], mais ils ont recouvert la plus grande partie du royaume […].
Ces paniques ont été bien des fois décrites […]. On commence par sonner le tocsin qui ne tarde pas à planer, des heures et des heures, sur des cantons entiers. Les femmes, se voyant déjà violées, puis massacrées avec leurs enfants, au milieu du village en flammes, pleurent et se lamentent, s’enfuient dans les bois ou le long des chemins, avec quelques provisions et des hardes ramassées au hasard. Plus d’une fois, les hommes les suivent après avoir enterré ce qu’ils ont de plus précieux et lâché les bestiaux dans la campagne. Mais, ordinairement, soit respect humain, soit réel courage, soit enfin par crainte de l’autorité traditionnelle, ils s’assemblent à l’appel du syndic, du curé ou du seigneur.
Suite demain si vous le voulez bien......
Michel Benoit