1977 Création de la Société des Auteurs de Bourgogne
1977 Création de la Société des Auteurs de Bourgogne
Lucien Hérard, qui fut tour à tour enseignant à l’école normale d’instituteur, journaliste, homme politique et écrivain, vient de fonder la Sté des Auteurs de Bourgogne avec la complicité de plusieurs autres bourguignons dont Roger Brain, Roger Gouze, Roger Denux et Jean Severin. Ce bourguignon né à Moulins sur Allier en octobre 1898 vécut son enfance et son adolescence dans le Morvan, à Château-Chinon, région qu’il ne quitta qu’à l’âge de seize ans pour rejoindre l’Ecole Normale d’instituteurs de Dijon.
Château-Chinon est pour lui l’apprentissage de la vie, la découverte de la nature, celle des bois immenses, des ruisseaux éclatants sous le rythme saccadé des pentes abruptes, mais aussi celle de l’éveil de la condition humaine. Comme le précise Maurice Voutey, un autre de ses complices, dans son livre lui rendant hommage, la vie à Château-Chinon était rude et l’intolérance y régnait en maîtresse : « On était rouge et laïque ou blanc et pilier de sacristie ! » Les puissants, généralement, ajoute-il, étaient blancs.
Lucien Hérard racontera longtemps l’histoire de cette institutrice, laïque et croyante, dont l’entrée à l’église avait suscité la colère du prêtre interrompant son prêche pour s’exclamer devant le parterre de fidèles : « Hors d’ici, fille de Satan ! »
Il nous raconte ainsi que la petite ville avait ses commerces de « gauche » et de « droite » et qu’il était impensable pour les uns de fréquenter les autres. L’intolérance était de mise et on en venait vite « aux mains » malgré la troupe mobilisée pour aplanir les rancunes. C’est donc à Château-Chinon que Lucien Hérard fréquenta l’école de la République et qu’il apprit la trilogie : « Liberté- Egalité-Fraternité » Celle-ci ne devait pas quitter sa mémoire tout au long de son parcours dans ce XXème siècle. Et quel parcours !
A sa naissance, son père, chef de cuisine à l’Hôtel d’Allier, décide de venir s’installer à Château-Chinon. Lucien en gardera une éternelle passion pour la science culinaire. Reçu à l’école normale de Dijon, c’est dans les tranchées qu’il fêtera ses vingt ans et c’est dans celles-ci qu’il entendra le clairon de l’armistice le 11 novembre 1918. Revenu à la vie civile, il sera l’élève d’Albert Mathiez, historien et fondateur de la Sté des Etudes Robespierristes. Ce Franc-Comtois aura une influence indéniable sur son engagement politique et sur sa détermination à venir en aide auprès des plus faibles et à combattre les injustices. Professeur à Besançon, il entre au Parti Communiste Français et se trouve une nouvelle famille. Il y restera officiellement jusqu’en 1928. Il quittera le P.C.F après un tumultueux divorce qui durera sept ans de 1921 à 1928. Cette rupture lui laissera de larges blessures qui ne se refermeront jamais. Ainsi, le 7 novembre 1992, il écrira : « Tu ne peux t’imaginer ce que cela signifie pour le militant que je fus. Quel ébranlement. Déjà la mort de Lénine, je la revis, je l’ai apprise à Pontarlier, où j’étais en déplacement politique. La joie des gens au restaurant. Et moi, seul, serrant les poings de colère impuissante et de chagrin car déjà Staline montait… »
En 1934, il adhère à la S.F.I.O et rejoint la Gauche Révolutionnaire mais en 1938 il en est exclu et fonde le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan et prend une part importante dans l’accueil des réfugiés espagnols après la victoire du général Franco. Il en recueillera pour sa part plus de quarante dans la clandestinité. Lors des accords de Munich, il déclarera : « Nous avons la paix, une paix fragile, éphémère, une paix bourgeoise et capitaliste, mais tout de même la paix. » Mais quelques mois plus tard, ses illusions pacifistes s’étiolant, il ajoutera : « Disons-le nettement, le compromis, s’il nous donne une trêve, accroît la force d’Hitler en Europe centrale. Demain, une nouvelle forme de conflit jaillira. »
La deuxième guerre mondiale éclate et il est arrêté comme ancien membre du P.S.O.P, relaxé, il reprend les cours à l’Ecole Normale de Dijon où il va « résister » à sa manière. Certes l’invasion allemande et la dictature nazie lui demande de s’engager et à rejoindre ses amis dans la clandestinité, mais ses positions antistaliniennes, malgré ses convictions communistes l’empêchent de gagner la résistance. D’ailleurs depuis son exclusion du P.C.F, il ne cache pas son pessimisme quant à ce fameux modèle Russe, convictions courageuses prisent bien avant qu’André Gide publie son journal de voyage « Retour d’URSS », démontrant l’escroquerie politique et sociale d’une République Socialiste Soviétique dénaturée où la liberté et la démocratie n’en a plus que le nom. Il sait que ses positions politiques prises avant la guerre ne pourraient lui apporter que de véritables ennuis en cas de victoire de ses anciens camarades et qu’il en est de même pour ce nouvel Etat outre Rhin qu’il a combattu dès les premiers jours. Il se sait surveiller de par ses anciennes activités et passera ces années d’occupation dans une grande solitude intellectuelle.
Peu avant la libération, il va être arrêté comme otage mais survivra miraculeusement au peloton d’exécution et attendra l’heure de la délivrance. Dès lors, délaissant la politique, mais n’en restant pas moins attentif à ce que vivent ses congénères, il va se consacrer à la culture, à la Bourgogne et à la Littérature. Pour Lucien Hérard, les années d’après guerre seront celles de toutes les reconnaissances. Admis à l’Académie des Sciences, Arts et Belles lettres de Dijon, il en deviendra président, relèvera le prix annuel de l’Académie de Dijon, tombé en désuétude, ce même prix qui en 1751 avait récompensé un certain Jean-Jacques Rousseau, encore inconnu.
Encouragé par ses amis et surtout par sa femme, Madeleine, grande spécialiste du 18ème siècle, il rejoint le Comité Régional des Affaires Culturelles de Bourgogne et le Comité Economique et Social de la région et fonde la revue « Vivre en Bourgogne » dont il sera le rédacteur en chef. Il écrit sur tout, il écrit surtout : sur « L’identité du Socialisme Français, Léon Blum et les Révolutionnaires du parti Socialiste », sur ses souvenirs de jeunesse dans le Morvan avec « Reflets de nos enfances » sur l’histoire avec « Voltaire à Dijon » et « Voltaire à Semur », il écrit de nombreuses poésies. Des années durant il tiendra une chronique dans le Télégramme de Brest qui lui vaudra une solide réputation dans toute la Bretagne. Gastronome averti, il écrit avec sa dernière compagne Françoise Colin « les meilleures recettes Bourguignonnes»
Lucien Hérard, soldat de l’ombre, éternel pacifiste mais aussi éternel défenseur de la Culture Bourguignonne ne fût pas qu’un simple témoin mais un véritable acteur de ce XXème siècle qui, faute d’avoir été celui de la réconciliation de l’homme et de la nature, ne fut que l’expression de la nature de l’homme. Sa vie durant : « Il n’aura eu de cesse que de favoriser une certaine unité régionale par le livre et ceux qui les écrivent, dont la seule règle pourrait être de ne pas en avoir d’autre que celle de la qualité et dont la seule morale pourrait être de ne pas en avoir d’autre que celle de l’entraide » nous dira Michel Huvet, autre écrivain bourguignon qui lui succèdera à la présidence de la Sté des Auteurs de Bourgogne. Ses récits sur le Morvan et Château-Chinon, sa vie et l’ensemble de son œuvre seront couronnés par François Mitterrand qui lui remettra les insignes de la Légion d’honneur au Palais de l’Elysée.
Il s’éteindra à l’âge de quatre vingt quinze ans, à la veille du nouveau millénaire « sans avoir pu voir fleurir les lilas », obsession qu’il eut jusqu’à son dernier souffle, après une vie dense et tumultueuse consacrée à ses semblables et à sa Bourgogne qu’il aimait tant.
Michel Benoit Les grands évènements du nivernais. Editions de Borée 2009