De Profondis
Hommage à celle dont les caractères resteront
gravés au paradis des petites frappes.
Ce jour devait arriver, il
devait forcément arriver, dans sa laideur immense, un jour malsain, humide,
sans horizons, un matin où l’aube et le crépuscule s’entremêleraient sans
transition, où le lever du brouillard ressemblerait comme deux gouttes d’eau à
son coucher quand le ciel paraît poser comme une chape de plomb au dessus des
villes sans espoirs de lendemains.
Les oiseaux s’étaient tus en
cet instant tragique, comme pour compatir à leur tour à cette fin annoncée et
le silence s’était installé, hantant la pièce qu’elle avait tant aimé dans une
cacophonie assourdissante.
Cette pièce, simple et
tranquille où elle se plaisait à côtoyer les odeurs d’encre et de papier, où un
délicieux mélange de tabac l’imprégnait parfois les soirs de galas.
La maladie avait eu raison
d’elle, pauvre mortelle, l’assaillant de tout côté, par tous les bouts, sans
espoirs, sans lendemain. Sa voix pourtant était restée audible dans cette
longue agonie mais, ses phrases devenaient de plus en plus imperceptibles et
elle le savait sans l’accepter.
Moi-même, je ne pouvais
l’admettre sans tomber dans un immense désespoir qui me désorientait jour après
jour. Quarante ans de vie commune, quarante années de souffrances, de
recherches, de joies et de gaietés et cet enfant né enfin d’un long supplice
vécu conjointement, l’Insurgé, quarante années de bonheur auprès d’elle où
selon l’humeur, les à-coups saccadés des nuits sans lunes se substituaient aux
caresses imperceptibles des jours de fêtes.
Quarante années de servitude
répondant à l’index, obéissant sans aucune objection aux plus profonds désirs,
aux plus folles délicatesses comme aux plus grandes ambitions : Les
chevaux meurent à vingt ans, toi, ce fût à quarante que tu rendis ton dernier
souffle, discrètement, sans crier gare !, bien que ta fin me fût annoncée
bien avant l’heure fatale où le destin t’emporta ce soir d’octobre 2007,
t’évitant ainsi une longue déchéance.
Tu fus tour à tour injuriée
par un mauvais français dont l’orthographe avoisinait parfois le langage des
comptoirs de bistros avant fermeture, frappée, martelée, jouissant sans te
plaindre et parfois abandonnée, seule pour quelques temps, attendant
silencieuse le retour du maître, mais jamais je ne t’entendis gémir ou te
plaindre de mes turpitudes ou de mes absences ; je t’étais bien trop
fidèle et revenais toujours vers toi, les soirs de fièvre intense.
Voilà, j’avais envie de
t’écrire, non pas en lettre d’acier, tu n’aurais pas supporté cet affront (
j’ai toujours douté que tu sois jalouse.. ), non, j’ai pris ma plus belle
plume, je l’ai choisi parmi celles que j’affectionnai le plus, et puis je me
suis ravisé et j’ai couru les magasins, et j’ai ramené un clavier en plastique,
plus jeune, moins bruyant, sans âme en quelque sorte, pour te dire adieu,
compagne de quarante ans, amie de toujours.
Adieu ma petite machine à écrire et que ta voix résonne encore longtemps, pour l’éternité peut-être, au paradis des petites frappes…..
Michel Benoit