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Le Blog de Michel Benoit
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Le Blog de Michel Benoit
30 octobre 2009

De Profondis

Hommage à celle dont les caractères resteront gravés au paradis des petites frappes.

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Ce jour devait arriver, il devait forcément arriver, dans sa laideur immense, un jour malsain, humide, sans horizons, un matin où l’aube et le crépuscule s’entremêleraient sans transition, où le lever du brouillard ressemblerait comme deux gouttes d’eau à son coucher quand le ciel paraît poser comme une chape de plomb au dessus des villes sans espoirs de lendemains.

Les oiseaux s’étaient tus en cet instant tragique, comme pour compatir à leur tour à cette fin annoncée et le silence s’était installé, hantant la pièce qu’elle avait tant aimé dans une cacophonie assourdissante.

Cette pièce, simple et tranquille où elle se plaisait à côtoyer les odeurs d’encre et de papier, où un délicieux mélange de tabac l’imprégnait parfois les soirs de galas.

La maladie avait eu raison d’elle, pauvre mortelle, l’assaillant de tout côté, par tous les bouts, sans espoirs, sans lendemain. Sa voix pourtant était restée audible dans cette longue agonie mais, ses phrases devenaient de plus en plus imperceptibles et elle le savait sans l’accepter.

Moi-même, je ne pouvais l’admettre sans tomber dans un immense désespoir qui me désorientait jour après jour. Quarante ans de vie commune, quarante années de souffrances, de recherches, de joies et de gaietés et cet enfant né enfin d’un long supplice vécu conjointement, l’Insurgé, quarante années de bonheur auprès d’elle où selon l’humeur, les à-coups saccadés des nuits sans lunes se substituaient aux caresses imperceptibles des jours de fêtes.

Quarante années de servitude répondant à l’index, obéissant sans aucune objection aux plus profonds désirs, aux plus folles délicatesses comme aux plus grandes ambitions : Les chevaux meurent à vingt ans, toi, ce fût à quarante que tu rendis ton dernier souffle, discrètement, sans crier gare !, bien que ta fin me fût annoncée bien avant l’heure fatale où le destin t’emporta ce soir d’octobre 2007, t’évitant ainsi une longue déchéance.

Tu fus tour à tour injuriée par un mauvais français dont l’orthographe avoisinait parfois le langage des comptoirs de bistros avant fermeture, frappée, martelée, jouissant sans te plaindre et parfois abandonnée, seule pour quelques temps, attendant silencieuse le retour du maître, mais jamais je ne t’entendis gémir ou te plaindre de mes turpitudes ou de mes absences ; je t’étais bien trop fidèle et revenais toujours vers toi, les soirs de fièvre intense.

Voilà, j’avais envie de t’écrire, non pas en lettre d’acier, tu n’aurais pas supporté cet affront ( j’ai toujours douté que tu sois jalouse.. ), non, j’ai pris ma plus belle plume, je l’ai choisi parmi celles que j’affectionnai le plus, et puis je me suis ravisé et j’ai couru les magasins, et j’ai ramené un clavier en plastique, plus jeune, moins bruyant, sans âme en quelque sorte, pour te dire adieu, compagne de quarante ans, amie de toujours.

Adieu ma petite machine à écrire et que ta voix résonne encore longtemps, pour l’éternité peut-être, au paradis des petites frappes…..

Michel Benoit

 

 

 

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Commentaires
M
Jolie déclaration à une petite "mécanique" qui a su transcrire pendant 40 ans les mots et tous les maux de son maître, sans jamais ... rechigner ! Ni belle de jour, ni belle de nuit, juste une belle d'écriture: c'est sûr, elle vous aura remarquablement inspiré cette petite machine. (Quant au clavier, donnez-lui une chance: il est si jeune !...)
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P
Super cet éloge à un objet devenu vivant,presque vibrant, sous des "index" guidés par un cerveau très prolixe, d'une fidélité sans faille jusqu'à un déclin inéluctable. J'ai adoré ce texte d'une grande humanité.
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