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Le Blog de Michel Benoit
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Le Blog de Michel Benoit
9 décembre 2014

Le Mystère de Santranges raconté dans les Mystères du Cher

santranges la rue où était située la boucherie Theuriot

Le mystère de Santranges

- Madame Theuriot ? Vous êtes bien l’épouse de Pierre Theuriot ?

- Oui, répond la jeune femme hésitante, mais qui est à l’appareil ?

- Ici la gendarmerie de Léré au téléphone, votre mari possède t-il un vélo ?

La jeune femme acquiesce et le gendarme poursuit :

- On vient de nous signaler avoir trouvé sur la voie publique un vélo abandonné, enfin un cadre de vélo uniquement, sur l’île de Cosne, ce matin à 6h50….

- Je ne comprends pas, répond la jeune femme, mon mari et parti ce matin à 6h40 pour Cosne où il avait rendez-vous avec son agent d’assurance…Il n’est d’ailleurs pas revenu et je m’inquiète.

- Pouvez-vous nous donner son signalement ?

La jeune femme décrit son mari et précise :

- Il portait une blouse de marchand de bestiaux, un pantalon bleu de travail et une veste de boucher. Il avait également ses bottes en caoutchouc.

Les gendarmes raccrochent ensuite, après s’être assuré que Madame Theuriot se rendrait dans leurs locaux pour venir déposer sur la disparition de son mari. Le mystère de Santranges vient de débuter.

Lorsque Gisèle Theuriot se rend à la gendarmerie de Léré, bourg situé à 8 kilomètres de Santranges, elle renouvelle ses déclarations et apporte aux enquêteurs une photographie de son époux. Dès cet instant, les enquêteurs prennent l’affaire au sérieux, et puis Pierre Theuriot n’est-il pas fils de gendarme ? Cela mérite recherche. Gisèle est une très jeune femme, mariée à Pierre depuis peu. Elle est jolie et seconde son mari dans la boucherie qu’ils viennent de prendre en gérance provisoirement. Pierre a appris le métier de boucher très jeune et cherche à s’établir depuis quelques temps dans la région. Il travaillait auparavant à la Celle dans la Nièvre.

Les gendarmes, comme à l’habitude, vont procéder tout d’abord à une enquête de voisinage et apprennent que Pierre Theuriot était un homme coquet et qu’il aimait s’habiller pour aller « à la ville », qu’il utilisait très peu son vélo et qu’il ne l’aurait certainement pas emprunté pour aller à Cosne où il devait rencontrer son agent d’assurance. D’ailleurs, il aurait pris sa voiture ou sa motocyclette à cette heure matinale. Interrogés, les habitants ne se souviennent pas l’avoir vu partir de Santranges. Et puis on l’aurait croisé sur la route entre son domicile et Cosne, distant de dix huit kilomètres.

On émet l’hypothèse d’un suicide, mais très vite l’idée ne tient pas, l’homme est jeune, le couple uni, les projets fusent, ceux-ci n’ont d’ailleurs aucun problèmes financier. La thèse du suicide est vite écartée ainsi que celle de la fugue qui paraît bien rocambolesque. Le couple s’est installé à Santranges depuis septembre 1946, soit depuis six mois, et souhaite racheter le fond de commerce de Monsieur Bazin, l’ancien boucher. L’acquisition comprend une boucherie mais aussi un café hôtel qui fait également dancing le dimanche après-midi. Le vendeur Jean Bazin, âgé de 29 ans, désire vendre son affaire, étant en instance de divorce et ne sentant pas la force de gérer celle-ci à lui seul. Et puis, il faut réunir les fonds nécessaires pour procéder au partage des biens….

Pourtant son divorce n’étant pas encore réglé et traînant en longueur, il décide, sur l’insistance des époux Theuriot, de trouver une solution intermédiaire. Ils seront gérants du fond de Bazin pour un temps, en attendant d’officialiser cette vente. Bazin leur permet de s’installer dans de bonnes conditions, prenant soin d’avoir libre accès à la caisse du commerce, et les époux Theuriot s’engagent à acheter les biens dès que possible : Tout va donc pour le mieux. Jean Bazin a abandonné son appartement au jeune ménage et demeure dans une petite chambre à cinquante mètres des nouveaux gérants. Les trois associés s’entendent pour le mieux. On interroge les Santrangeois.

Certains se souviennent que le dimanche de pâques, le 23 mars exactement, une cavalcade avait eu lieu dans la commune. Une fête locale annuelle avec ses défilés de chars, de travestis, de forains ayant installé leur manège sur la place du bourg et que Pierre Theuriot a lui aussi préparé cette fête en déguisant son camion en char représentant la cinquième République. Le lendemain, le lundi 24 mars, Pierre  part de Santranges avec Bazin, dont ils empruntent la camionnette, pour aller à la rencontre de clients demeurant sur Briare et sur Giens. La journée entière se déroule en visites et présentations auprès d’une clientèle fidèle. Les deux hommes quittent leur dernier client aux alentours de 21h30.

A Santranges, la fête se poursuit et des santrangeois aperçoivent Jean Bazin dans le bourg vers 23 heures.La suite, les enquêteurs la connaisse, le mardi matin 25 mars 1947, on retrouve le cadre du vélo de Pierre Theuriot abandonné sur l’île de Cosne. L’enquête s’essouffle. On ne connaît pas d’ennemis aux époux Theuriot et l’argent ne peut être un mobile sérieux pour justifier une disparition ou un enlèvement.

Les gendarmes vont alors regarder de plus près la vie intime de ces trois personnes qui sont au centre de cette affaire mystérieuse. Il faut bien avouer qu’ils ont peu d’éléments pour mener à bien cette enquête et d’ailleurs que savent-ils ?

Qu’un homme a disparu depuis plusieurs jours, que le cadre du vélo qu’il aurait utilisé a été retrouvé le jour de cette disparition par des ouvriers se rendant à leur travail et que l’agent d’assurance que Pierre Theuriot devait rencontrer n’a jamais reçu la visite de son client. Comme à chaque fois qu’une enquête s’enlise, les enquêteurs reviennent sur leurs fondamentaux, la base de leur travail, Ils relisent et vérifient les rapports d’auditions de tous les témoins de cette affaire. Ils s’aperçoivent très rapidement que quelque chose ne va pas dans les horaires qu’ils ont relevés lors des déclarations des acteurs de cette affaire qu’ils pressentent à présent comme un drame. Le cadre à vélo a été retrouvé près du pont de Cosne à 6h50.

Gisèle Theuriot a indiqué avec précision, quant à elle, que son mari avait quitté le domicile à 6H40, soit dix minutes avant cette découverte… Or, il apparaît impossible que la distance entre le domicile des Theuriot et le pont de Cosne, soit 18 kilomètres, ait été effectuée à bicyclette en si peu de temps, d’autant plus qu’il faudrait ajouter à ce temps, les minutes nécessaires à l’enlèvement des deux roues, qui ont disparu on ne sait d’ailleurs pourquoi, les ouvriers n’ayant trouvé que le cadre nu du vélo.

On réinterroge alors les ouvriers ayant découvert la carcasse du vélo, mais ceux-ci sont formels et unanimes, étant contraints à des horaires de travail précis. Il était bien 6h40 lors de leur trouvaille ! Reste le témoignage de Gisèle Theuriot, lequel ne tient plus, vu l’horaire de départ du domicile conjugal de Pierre et ce fameux rendez-vous avec un agent d’assurance qui apparaît de plus en plus farfelu. Et puis, Pierre Theuriot était coquet et ne se serait jamais présenté en vêtements professionnels pour un rendez-vous en ville…  Le 6 avril, soit douze jours après la disparition de Pierre Theuriot, sa femme Gisèle est à nouveau entendue sur la disparition de son mari. L’audition est longue, structurée, et après plusieurs heures où les questions fusent de toutes parts dans les bureaux des enquêteurs, la jeune femme, épuisée nerveusement par tant de pression, se décide à révéler la terrible vérité. Elle avoue que Jean Bazin lui a fait des avances appuyées depuis leur rencontre et qu’elle a succombé à celles-ci quelques mois plus tard. Elle raconte que les deux amants vécurent ainsi durant trois mois, cachant comme ils le pouvaient leur relation interdite à Pierre Theuriot.

Elle précise que Pierre, devenu bien encombrant aux yeux de Jean Bazin, celui-ci lui aurait déclaré à plusieurs reprises :

«  Pierrot n’est pas un mari pour vous Gisèle, il faudrait que je le supprime sans que vous le sachiez ! »

Quelques temps plus tard, il émit même l’idée d’un empoisonnement. Et puis, viendra le jour fatidique du 24 mars.

Les deux hommes partent tôt le matin pour visiter des clients sur Briare et Giens, mais le soir Jean Bazin revient seul à la boucherie où l’attend Gisèle. Quand elle demande où se trouve son mari, Bazin lui répond évasivement. Elle déclare alors avoir eu si peur qu’elle du répondre aux avances de son amants diabolique dans la chambre familiale et que tous deux passèrent cette nuit tragique ensemble. Elle précise que le lendemain, Jean Bazin lui demanda de laver son pantalon portant des traces de sang et que c’est la femme de ménage, Edith Bedu, qui se chargea de la tache, sans s’imaginer un seul instant que le sang collé et séché sur le pantalon pouvait être celui de son patron ; Vous pensez, du sang sur un pantalon de boucher ! Rien de plus banal…

Arrêté immédiatement, Jean Bazin avouera son forfait devant les gendarmes de Léré. Il racontera que le soir du lundi 24 mars, alors que les deux hommes revenaient de Briare, une violente dispute les opposa au sujet de Gisèle. Pierre Theuriot avait-il des soupçons ? Bazin avoua t-il à celui-ci sa liaison avec sa femme ?

Pierre et Jean en vinrent aux mains et Bazin aurait alors frappé le mari trompé avec un démonte pneu et se serait ensuite débarrassé du corps dans les méandres de la Loire. Puis, réalisant l’incohérence et l’horreur de son acte, il aurait déposé le matin avant 6 heures le vélo de Pierre Theuriot près du pont de Cosne, pensant que cette découverte orienterait les enquêteurs vers un suicide. Ce que Jean Bazin ne pouvait prévoir, c’est qu’entre 6 h et 6h50, un passant trouverait le vélo et subtiliserait les deux roues. Il ne pouvait également prévoir que des ouvriers, intrigués par la carcasse accoudée au mur du pont, donneraient immédiatement son signalement aux gendarmes. Il reste que le voleur de roues rendit un grand service aux enquêteurs, un voleur qui se garda bien de déclarer son identité et son forfait et qui contribua bien malgré lui à la découverte de la vérité, confirmant une fois de plus que le crime parfait n’existe pas.

Michel Benoit

Mes Mystères du Cher

Editions De Borée 2014

 

 

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