La belle marinière
Le trajet entre le quai et l’Escale, bien que distant de quelques dizaines de mètres, lui parut interminable. La pluie s’était arrêtée subitement laissant place à un paysage désolant dont les couleurs se mêlaient à celles du fleuve. Un banc abrité près de la réserve d’eau potable était à mi-parcours et Merle y fit une halte, regardant la berge face à l’écluse où les cygnes s’étaient rassemblés.
La Belle Marinière, une péniche bien connue, s’était engagée dans la fosse entre canal et fleuve, son moteur toussait et deux mariniers, revêtus de cirés, s’affairaient à attacher solidement l’embarcation aux bites d’amarrages avec de longues et épaisses cordes, plus communément appelé bouts, afin d’éviter la projection du navire sur les parois du caisson lors de la montée des eaux. L’un des deux hommes hurla tout à coup alors que l’un des bouts s’enroulait autour de son mollet. En un rien de temps, son collègue se précipita vers lui pour le libérer avant que le cordage ne se tende et jura quelques obscénités inaudibles en direction de son coéquipier. Les pare-battages et autres vieux pneus destinés à protéger la coque contre les chocs dus aux remous venaient déjà s’écraser sur les parois du sas.
Merle s’était rapproché de l’écluse et regardait à présent la Belle Marinière s’enfonçait vers le fond de la fosse pour rejoindre le niveau du fleuve. Deux marins étaient sortis de l’Escale, alertés par les cris du marinier en difficulté. Merle s’adressa à eux :
--Ca arrive souvent ce genre d’accident ?
--Non, mais sur un bateau tout est dangereux. Une seconde d’inattention peut être fatale, j’en ai connu qui ont fini estropiés.
La belle marinière - Une enquête du commissaire Merle - Editions Flagrant d'Elie . Michel Benoit 2010