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Le Blog de Michel Benoit
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Le Blog de Michel Benoit
15 février 2011

La part des Anges

Florence sortait du Club au petit matin, emmitouflée dans une fourrure qui n’avait rien de bon marché, se dirigeant droit devant elle, à la recherche d’un taxi. Il l’avait regardé longuement, devinant son visage dissimulé sous un foulard éclatant. Elle avait alors levé les yeux vers le ciel, comme pour montrer un signe de désespoir et d’impuissance. Leurs yeux s’étaient croisés un instant tout au plus.  Un instant qui avait paru interminable à Paul.

 Une rencontre muette.

 Elle s’était décidée à baisser les yeux pudiquement, mais son instinct l’avait contrainte à relever son regard vers ce jeune homme qui se tenait debout, près de la fenêtre du second étage de l’immeuble, face à elle. Les deux êtres s’étaient alors immobilisés et ce ne fût que plus tard, bien après que l’inconnue eut franchit l’angle de la rue, que Paul se décida à revenir à la réalité.

Florence avait rejoint son domicile, éreintée. Le taxi l’avait déposée à sa porte et elle s’était précipitée sous le porche d’un immeuble situé tout près, tentant d’éviter les quelques gouttes de pluie qui arrosait la ville en ce début de février. La porte à peine refermée, Florence s’engouffra dans l’ascenseur à cage et s’appuyant contre la paroi rouge capitonnée, poussant un soupir, exténuée, tout en relevant le foulard qui masquait son visage.

Elle avait conservé toute la beauté de sa jeunesse. Seules, ses escapades nocturnes avaient eu raison de quelques petites rides dissimulées aux coins des yeux qui, loin de l’enlaidir, lui donnaient un charme incommensurable. Ses yeux, à la fois gris et vert, selon la saison, selon son humeur aussi, ne manquaient pas de déstabiliser son entourage.

Elle avait repoussé la porte d’une jambe maladroite en laissant glisser la fourrure qu’elle portait à ses pieds tout en propulsant ses escarpins aux quatre coins cardinaux de l’entrée de son appartement. Un silence pesant régnait dans ce décor luxueux. Elle se laissa choir sur un canapé, ôtant tour à tour d’une main experte les barrettes qui maintenaient ses cheveux. Elle se massa énergiquement les jambes tout en inspectant les lieux d’un regard rapide.

Victor n’était pas rentré comme à l’habitude. Victor rentrait toujours avant qu’elle ne regagne le domicile. Il simulait ainsi une attente qui lui permettait de renforcer ce besoin de la culpabiliser. Bien que fréquentant par obligation un cercle d’amis proches, Florence et Victor s’accordaient une vie nocturne indépendante et s’accommodaient très bien de cette situation. De vingt ans son aîné, Victor avait gardé un charme convainquant auprès du sexe opposé et Florence était loin de sous-estimer celui qui avait décidé, un jour d’été, de partager sa vie. Victor avait d’ailleurs eut une vie sentimentale assez tumultueuse et l’âge aidant, Florence savait qu’il ne renoncerait pas facilement au désir de conquérir de nouvelles proies, gibiers d’un soir au plus, attirés par son charme mais aussi par sa situation qu’il n’omettait pas de mettre en avant à chaque occasion. C’était peut-être aussi pour cela qu’il avait épousé Florence : une carte de visite

supplémentaire où le statut du mariage rassurait ses nombreuses conquêtes, et où la beauté exceptionnelle de Florence créait un challenge pervers, bien féminin, chacune d’entre-elles voulant compenser son infériorité plastique en séduisant l’homme qui partageait sa vie. C’était pour elles sans doute une revanche nécessaire, un caprice où l’orgueil en était le moteur essentiel, ne laissant aucune place à une issue sérieuse.

Florence avait conscience de tout ceci et se prêtait volontiers à ce jeu subtil, faisant mine d’ignorer les turpitudes de Victor, qui usait à la fois de sa condition sociale et de la faiblesse de ces femmes qui n’avaient pas tourné le dos à la possibilité d’un véritable amour.

Ce marché de dupes, Florence l’avait acceptée tant bien que mal. Elle s’était alors résignée à attendre patiemment que, les années aidant, Victor se lasse de séduire la première venue.

Il n’en était pas de même de celles qu’il avait séduites l’espace d’un soir….

Florence s’était alors décidée à ne pas tomber dans une victimisation maladive, se refusant d’expliquer l’attitude de Victor lors de chaque nouvelle conquête et s’était créée une vie artificielle sans grand intérêt mais réparatrice, du moins le pensait-elle.

Debout, face au miroir du salon, elle tentait d’interpréter les causes de deux petites rides naissantes qu’elle seule avait détecté depuis quelques jours, lorsque le claquement de la porte d’entrée la fît sursauter. Victor se tenait dans l’encadrement de la porte du salon, s’appuyant sur le chambranle d’une main maladroite et tenant son veston de l’autre d’un air résigné. Il murmura quelques mots inintelligibles et jeta son veston sur le dossier de la première chaise venue. Florence le regarda s’affaisser, rompu, sur le premier fauteuil à sa portée. Victor, inerte, les jambes allongées sous la table basse de marbre bailla un long moment tout en maintenant ses mains sur ses paupières qu’il sentait lourdes à présent.

--- Avec ou sans glaçon ? demanda t-il à Florence en se servant une dose de Bourbon.


Extrait de :

" La part des Anges "

Nouvelle

Michel Benoit

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Commentaires
J
Très réaliste et j'attends la suite avec impatience !!!
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C
Perso, ça sera aussi sans glaçon !... Par contre, google qui en profite pour nous faire des annonces pour les crèmes anti-rides ... mouarf ... tout ça car tu as cité deux fois le mot "rides" ... pffff ... Un truc, à reprendre un 2ème bourbon tiens ! ;-°)
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N
Moi, perso, je le prend sec, le bourbon! Bravo Michel, beau suspens, on attend la suite avec fébrilité.
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V
la part des anges c'est la plus belle ..... la plus volatile et la plus insaisissable.... vivement la suite .....
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D
Où et quand la suite ?
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